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Faire de l’éducation un levier de développement en Afrique

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Le discours sur l’éducation en Afrique est bien souvent sombre, empreint de soupirs face à un constat d’échec. Pourtant, une certaine perspective s’impose : l’école pour tous n’existe que depuis les indépendances, il y a seulement 50 ans en somme. Parler de crise inexorable de l’éducation en Afrique, éplucher les rapports alarmants des organisations internationales est à relativiser dans la mesure où la mutation vers un enseignement élargi est assez récente. Postindépendances, deux défis de taille émergèrent : accueillir sur les bancs de l’école non plus seulement les élites mais la masse et africaniser l’enseignement.

Atteindre ces objectifs signifiait surmonter de nombreux obstacles. Pour beaucoup de pays, à l’exception notable du Bénin et de l’Ethiopie, le livre représentait un objet peu familier. En outre, offrir une éducation de masse impliquait et implique d’en avoir les moyens, problématique de taille entravée par de nombreux Etats. Cette difficulté est d’autant plus cruciale lorsque la démographie n’arrange guère les choses : avec plus de 50% de sa population en âge d’étudier, l’Afrique a davantage à mettre la main au portefeuille que l’Europe, qui ne compte que 15% de têtes blondes et d’étudiants.

Enfin, les crises politiques connues par la majorité des Etats africains ont frappé en premier les structures institutionnelles éducatives. Le manque ou l’absence de moyens ont créé une jeunesse déscolarisée, tombant bien souvent alors dans l’escarcelle des milices en tous genres, à même de leur fournir un semblant de statut social.

Si ces problèmes ont pu ou paru été dépassés par une amélioration économique et géopolitique globale, des difficultés demeurent, handicapant de manière plus structurelle l’essor qualitatif de l’éducation en Afrique. De nombreux pays persistent à favoriser l’éducation des élites, afin de les transformer en ambassadeurs internationaux. Ambition noble mais inégalitaire et porteuse de cruelles pertes (« fuite des cerveaux ») pour le continent. De plus, la faiblesse des rémunérations des enseignants, pointée par de nombreux rapports, ne permet pas d’assurer un enseignement de qualité avec des professeurs devant jongler entre différents emplois pour joindre les deux bouts. Ce déficit qualitatif se retrouve également dans l’inadaptation des programmes scolaires qui affecte près de 31 pays, générant ainsi un gaspillage navrant comme au Burundi où 70% de l’argent est dépensé dans une éducation insatisfaisante. En outre, tandis que le primaire devrait être le récipiendaire prioritaire des investissements par son rôle socle et inclusif, ainsi que par le taux de rendement d’éducation supérieur aux autres niveaux, il est celui dont le taux de croissance est le plus faible. En Afrique Subsaharienne, près d’un enfant sur quatre en âge de fréquenter l’école primaire (23%) n’a jamais été scolarisé ou a quitté l’école sans terminer le cursus primaire.

Toutefois, quelques tendances positives sont à noter dans ce discours peu encourageant. Premièrement, même si l’écart entre l’éducation des filles et celle des garçons est fort (sur 30 millions d’enfants non scolarisés, 54% sont des filles), il se réduit progressivement mais à pas très lents, entravé par de nombreux obstacles combattus notamment par l’initiative « Parce que je suis une fille ». Deuxièmement, les gouvernements africains, en prenant conscience du mouvement massif du continent vers les outils numériques (que l’on songe au boom du mobile banking sur le continent), ont commencé à intégrer l’enseignement des NTIC dans les programmes scolaires comme en Côte d’Ivoire ou au Sénégal. Troisièmement, toujours selon une meilleure compréhension des besoins de leur population, des Etats africains comme le Ghana (Loi COTVET de 2006) se mettent à promouvoir des enseignements techniques et professionnalisants, à même de répondre aux nécessités du marché de l’emploi, tant formel qu’informel[4]. Enfin, parce que l’Afrique est un ensemble non indifférencié, certains pays tirent leurs épingles du lot : si le taux d’alphabétisation des adultes en Afrique est parmi les plus faibles au monde, deux pays dépassent la barre des 50%, à savoir : le Cap-Vert (83%) et le Ghana (64%)

Prendre acte de la nécessité de développer une offre éducative de qualité – et non pas tant seulement en quantité, comme nous y poussent à croire les OMD de manière partielle – et adaptée aux besoins permet de concilier au mieux éducation, développement et bien-être. En effet, de nombreuses études soulignent l’étroite corrélation entre éducation d’une part et croissance et santé d’autre part. Le rapport de l’UNESCO met en avant ces relations vertueuses : l’éducation est un moteur de croissance où, dans les pays à faibles revenus, une année supplémentaire d’éducation se traduit par un gain de revenu de près de 10% en moyenne. Des gains sanitaires sont aussi présents car l’éducation permet de réduire significativement la mortalité infantile. Des femmes et des mères mieux éduquées et informées font des choix plus avisés sur leurs lieux de soin, d’accouchement et sur les vaccins. L’Unesco estime ainsi que si toutes les femmes des pays les plus pauvres achevaient au moins l’enseignement primaire, le taux de mortalité infantile reculerait de 15%. Cette corrélation se retrouve aussi pour l’épidémie du VIH Sida, l’éducation jouant un rôle clef pour enrayer la propagation.

Cet ensemble d’éléments amène à se demander comment l’Afrique peut poursuivre sa trajectoire de croissance tout en assurant un enseignement de qualité et de masse. S’inspirer de modèles adoptés par des pays en développement est une voie, comme nous y invitent certains spécialistes. L’idée d’un chèque éducation, ou « voucher », sur le modèle indien est une piste intéressante, permettant de renforcer la responsabilisation des établissements et des parents, en finançant directement les élèves et non les écoles. De même, opter pour une sorte de « Bolsa Familia » sur le modèle brésilien permettrait de subventionner les produits de première nécessité des familles défavorisées envoyant leurs enfants à l’école.

Ces propositions démontrent en fin que l’accent mis sur l’éducation va de pair avec le développement économique. C’est toute la stratégie déployée par le Consensus de Pékin et assurée en Afrique par une offre très généreuse : le forum de coopération entre la Chine et l’Afrique de Pékin en novembre 2006 a vu de grandes promesses d’aide (renforcement de la formation de spécialistes africains dans différents secteurs, une assistance pour la mise en place de cent écoles, l’augmentation des bourses aux étudiants africains voulant étudier en Chine, et une offre de formation pour les responsables éducatifs et les directeurs des institutions éducatives majeures). Toutefois, lier étroitement éducation et croissance économique est à questionner. Si l’offre de la Chine est attrayante, l’examen de l’application de son propre modèle sur son territoire invite à s’interroger sur son adéquation pour l’Afrique. Est-ce l’éducation ou le développement économique qui est mis au service de l’autre ? S’il ne s’agit pas de faire ou pas le procès du modèle chinois, il convient en revanche de s’interroger sur le modèle éducatif optimal pour l’Afrique. Ce questionnement, s’il est large et complexe, invite néanmoins à appeler de ses vœux un système africain, prenant en compte les spécificités nationales et panafricaines. L’intégration pleine et fière de l’enjeu agricole dans des formations prestigieuses et démocratiques est une piste, il y a en bien d’autres.

Pauline Deschryver

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