Le développement ne serait-il qu’une question de financement ? On est bien tenté de répondre par l’affirmative en partant du modèle proposé par Arthur Lewis (1960). Sous une perspective historique, on s’aperçoit cependant que les nations les plus prospères (e.g. Egypte antique, Rome) n’ont pas réussi à conserver leur prospérité à travers les siècles. Plus récemment, lorsqu’on observe qu’une nation aussi prospère que la Lybie soit bombardée et réduit à un champ de batailles entre milices, la question de la suffisance des moyens financiers pour le développement reste entièrement posée. Si les moyens financiers sont nécessaires au processus de développement, les observations précédentes illustrent à quel point ils ne suffisent pas pour garantir l’élévation permanente du bien-être de la société. Suivant les travaux récents de Acemoglu et Robinson, il est aujourd’hui possible d’affirmer qu’au cœur du développement se trouve la question des institutions. Grâce à leur modèle de réflexion, il est possible d’identifier les forces qui engendrent, entretiennent ou brisent le sous-développement.

Les forces qui permettent de briser le cercle vicieux du sous-développement

Historiquement, seuls les phénomènes naturels, les révolutions politiques et les ruptures économiques (innovation exogène) ont été en mesure de briser le cercle vicieux du sous-développement résultant de l’absence ou de la faiblesse des institutions.

Curieusement, les catastrophes naturelles telles que les tremblements de terre, les inondations ou les pandémies sont de puissantes forces redistributives des pouvoirs politiques et économiques. Cependant, en tant que phénomènes naturels, elles ne conduisent pas toujours à une meilleure redistribution des pouvoirs. Par exemple, les personnes qui sont initialement plus pauvres (économiquement et politiquement) peuvent aussi habiter les régions sismiques, inondables, comme dans des environnements plus favorables aux épidémies. Le tremblement de terre en Haïti ou le Tsunami de 2004 en Indonésie sont des exemples de catastrophes naturelles susceptibles de modifier durablement la distribution des pouvoirs dans la société et de repartir sur des bases nouvelles. Toutefois, elles ne sont pas souhaitables pour « redistribuer les cartes » au sein d’une société, compte tenu de leur neutralité par rapport aux conditions initiales.

Aujourd’hui, les révolutions politiques constituent les moyens les plus courants de renversement de l’ordre existant. Le « printemps arabe » illustre bien ce moyen d’action. D’un point de vue historique, la Révolution Glorieuse en Angleterre (1688-1689), dans la forme pacifique, et la Révolution Française (1789), dans la forme violente, sont des exemples de révolutions qui ont durablement changé la distribution du pouvoir politique et économique dans ces pays. A l’issue de ces révolutions, généralement conduites par la multitude défavorisée, les institutions politiques sont devenues plus inclusives du fait de son implication le processus de décision. De même, elles ont été à l’origine d’une révision des rapports sur le marché du travail (abolition de l’esclavage, revalorisation des salaires, mise en place de cadre de négociations appropriés des salaires, amélioration de l’accès à la santé et à l’éducation pour tous, etc.).

En plus de la révolution politique, les ruptures dans les échanges économiques comme la révolution industrielle, la découverte des Amériques et l’explosion du commerce international qui en a découlé, sont aussi de puissantes forces susceptibles de déclencher le cercle vertueux du développement à travers la modification des institutions économiques. Plus spécifiquement, ces ruptures redistribuent le pouvoir économique grâce à l’enrichissement de nouveaux entrepreneurs. Ces derniers profitent des nouvelles idées, des nouvelles technologies pour fructifier des opportunités d’affaires et s’engager dans le processus de création de la richesse.

Pourquoi les révolutions politiques et économiques échouent ?

Si chacune de ces trois forces peuvent ouvrir des fenêtres d’opportunités sur le développement, il n’en demeure pas moins qu’elles ont besoin d’être déployées dans des conditions minimales afin de garantir un développementdurable. Idéalement, les résultats sont plus significatifs et durables lorsque les révolutions politiques se produisent dans un contexte de révolution industrielle ou plus généralement d’innovation. Par exemple, selon Acemoglu et Robinson, la prospérité durable de l’Angleterre et de la France est liée à l’occurrence presque simultanée de révolutions politiques et économiques. La Révolution Glorieuse a permis de limiter les pouvoirs de la monarchie britannique alors que l’essor du commerce international grâce à l’esclavage et à la découverte des Amériques a créé de nouveaux riches réclamant davantage de libertés.

La présence d’institutions extractives, est à la base de l’échec des révolutions politiques et économiques, dans la mesure où leurs retombés ne sont pas utilisés pour préparer une prochaine vague d’innovation (révolutions politique et économique). Tel que documenté par Acemoglu et Robinson, le déclin des empires Aztec et Inca en Amérique du Sud, de l’Egypte Antique, de l’empire Kongo, et même de l’ex-Union Soviétique est en partie expliqué par l’occurrence d’une innovation économique dans un contexte d’institutions extractives. Malgré que ces empires fussent initialement prospères, la propriété privée n’y était pas garantie, encore moins les libertés politiques. Ainsi, les incitations à innover étaient plus faibles, créant ainsi un retard technologique sur les autres pays du monde.

Le cas de l’ex-Union Soviétique illustre bien comment l’introduction des nouvelles technologies dans une économie extractive peut générer de la croissance en présence d’un pouvoir politique centralisé. Il illustre aussi pourquoi cette croissance ne peut être durable. En effet, dans un Etat centralisé comme l’ex-Union Soviétique, la capacité de l’Etat à réallouer les ressources économiques dans les secteurs productifs de même que l’introduction du train et des NTICs a engendré une croissance forte, faisant d’elle la deuxième économie mondiale. Cependant, cette croissance était capturée par une élite profitant des institutions politiques extractives. Il s’en est suivi très peu d’innovations, conduisant à un essoufflement de la croissance à partir des années 60.

Le cas le plus frappant est celui de l’esclavage et de la colonisation en Afrique qui font suite à la révolution industrielle en Angleterre. Il montre bien comment les innovations majeures comme la machine à vapeur et l’imprimerie ont eu des impacts différents selon la qualité initiale des institutions. Alors que ces innovations ont été largement adoptées dans les pays Européens ayant subis aussi des révolutions politiques, cela n’a pas été le cas dans les royaumes et empires Africains qui étaient pourtant en contact avec les européens et connaissaient donc bien l’utilité de ces technologies. L’une des explications à la base de cette faible adoption est bien l’absence d’un droit de propriété privée. Le roi pouvait exproprier et redistribuer les terrains agricoles à sa guise, ce qui n’incitait pas les agriculteurs à augmenter leur productivité.

Toutefois, comme nous le verrons dans la troisième partie de cette série d’articles, les institutions n’ont pas toujours et partout été extractives en Afrique. Nous nous interrogerons aussi dans cette troisième partie sur la position actuelle et les perspectives des institutions en Afrique.

Georges Vivien Houngbonon

Previous articleQUI SOMMES NOUS
Next articleMarché de l’emploi en Afrique : les facteurs modernes de blocage