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Le pouvoir des femmes Africaines

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Quelle contribution des femmes africaines au développement du continent ?

Femme et africaine : un héritage social et économique de mauvais augure au regard des représentations culturelles, des réalités sociologiques et des pratiques discriminatoires en vigueur sur le marché du travail ou du capital ; pourtant les travaux[1] démontrant que l’égalité des sexes est un des piliers du développement économique de l’Afrique se multiplient.

Dans l’étude Women in Africa publiée en 2013, l’OCDE estimait que les femmes constituent 70% de la main d’œuvre agricole du continent et concourraient à la production de 90% des denrées alimentaires.  En outre, se plaçant au-delà de la moyenne recensée dans toutes les autres régions constituant l’OCDE,  les femmes africaines produisent 61,9% des biens économiques.

Cette production majoritairement informelle, agricole et non salariée donne lieu à une segmentation du marché du travail africain et à une sous-représentation record des femmes dans le salariat et le secteur non agricole (8,5% à l’échelle du continent). Ce constat est d’autant plus alarmant que la tertiarisation de l’économie africaine – reposant sur l’essor des secteurs du numérique, des télécoms ou des services financiers – pourrait conduire à un phénomène de progrès technologique biaisé[2] en défaveur des femmes peu investies en capital humain.

Les barrières à l’entrée sur le marché du travail dont souffrent les femmes sont de plusieurs natures et ont déjà été analysées au prisme de la morale, de la culture ou des droits fondamentaux.

Toutefois, force est de constater que par-delà ces considérations légitimes et incontestables ; l’Afrique n’a également aucun intérêt économique à se passer de la compétence de plus de la moitié de sa population dans les secteurs secondaires et tertiaires. Une défaillance des institutions et du marché peut contribuer à expliquer l’éviction nuisible des femmes dans les secteurs secondaire et tertiaire.

Le présent article proposera d’abord un panorama du cadre institutionnel régissant l’activité économique des femmes en Afrique, en revenant sur les mesures entreprises pour l’améliorer ; puis discutera les limites de ces politiques publiques et les perspectives d’évolution.

Qualifiées ou non, les femmes africaines contribuent à la croissance du continent malgré de nombreux obstacles structurels 

La plupart des études montrent que les échanges internationaux ont un impact négatif mais faible sur l’emploi. Ce solde négatif se concentre principalement sur les emplois les moins qualifiés, majoritairement occupés par les femmes en Afrique. A titre d’exemple, d’après l’INSEE en 2011, les échanges industriels de la France avec les PED ont abouti à un déficit de 330 000 emplois.

Sans investissement urgent dans la main d’œuvre féminine peu qualifiée, les Etats africains risquent donc de voir croître le taux de chômage alors même que le volume d’investissement dans les secteurs porteurs de croissance augmente.

L’éviction des femmes non qualifiées sur le marché du travail formel ne se traduit pourtant pas par une inactivité totale mais donne lieu à un renforcement du marché informel qui s’accompagne parfois de succès sur le long terme comme le montre l’exemple des « Nana Benz » togolaises ayant fait fortune dans le commerce informel des tissus wax de la période coloniale aux années 2000[3].

Concernant les femmes qualifiées, les barrières sont majoritairement d’ordre institutionnel et juridique. En effet, le code familial en vigueur dans plusieurs Etats africains génère des distorsions économiques nuisibles à l’efficacité des marchés en limitant la répartition équitable des parts d’héritage entre descendants féminins et masculins lors des successions ou en restreignant l’accès des femmes au crédit bancaire.

En outre, l’iniquité des droits de propriété foncière constitue une entrave à l’entrepreneuriat des femmes et évince un grand nombre d’entre elles des différents marchés. L’imperfection du marché du travail et le faible accès à l’offre de capital génèrent une asymétrie entre les femmes et les structures demandeuses de main d’œuvre en mesure de fixer des salaires nominaux dérisoires.

Pour faire face à cela, les entreprises de micro-crédit se sont développées à destination des populations les plus vulnérables et les plus éloignées du secteur bancaire comme le démontre la chercheuse Annelise Sery dans Le micro-crédit : l’empowerment des femmes ivoiriennes.

Réfondre le cadre institutionnel de l’activité économique des femmes africaines

Conscients du danger que constitue l’éviction des femmes, plusieurs Etats Africains ont initié un débat sur la parité. Ainsi, le 14 mai 2010, l’Assemblée nationale sénégalaise adoptait-elle une loi de parité homme-femme dans les listes électorales dans un pays où les femmes représentent 52% de la population.

Cette nouvelle donne électorale devrait permettre une refonte du code familial. Par ailleurs, au Maroc dont la Constitution de 2011 s’engage à lutter contre toute discrimination fondée sur le sexe, la ville de Marrakech a abrité au mois de novembre 2014 le Global Entrepreneurship Summit visant particulièrement à promouvoir les activités économiques régionales et locales des femmes.

En effet, si ce  pays est actuellement  un moteur de la croissance africaine ; la participation des femmes à l’économie avait pourtant drastiquement chuté de 30% en 1999 à 25% en 2012[4]. L’article 19 de la Constitution marocaine de 2011 n’a certes pas supprimé les inégalités économiques mais a contribué à mettre en lumière le débat sur la parité, qui s’est notamment institutionnalisé avec la création de la Haute Autorité de la Parité.

Enfin, le développement du micro-crédit  doit être  développé et encadré afin de permettre l’essor d’une protoindustrie permettant aux mères de famille de travailler à domicile, tout en entraînant  l’ensemble du système bancaire africain dans un cercle vertueux profitable tant aux actionnaires qu’aux populations vulnérables telles que les femmes.

Transnationaux et échappant aux impératifs religieux et culturels limitant le droit des femmes dans les différents Etats africains, les organismes internationaux bancaires et financiers ont un rôle à jouer dans le renforcement de la participation des femmes à l’économie du continent.

A ce titre les initiatives telles que celle imaginée par la Banque Africaine de Développement en octobre 2010, consistant à créer un « prix féminin de l’innovation en Afrique » ne doivent pas rester lettre morte mais donner lieu à des réalisations concrètes et volontaristes pour encourager l’entrepreneuriat féminin.

Pour l’heure, les femmes peu qualifiées sont le pilier de la production agricole en Afrique. Toutefois les perspectives de croissance et la tertiarisation des économies nationales rendent urgente la suppression des barrières l’entrée sur les marchés du travail secondaire et tertiaire auxquelles font face ces-dernières. Ainsi, une politique volontariste de refonte des codes familiaux et d’équité de l’accès au crédit bancaire doit être initiée à l’échelle du continent. Enfin, les initiatives émanant de grands organismes internationaux et visant à promouvoir l’entrepreneuriat féminin permettront à l’Afrique de se doter de leader femmes et d’accroître la parité au sein des milieux dirigeants.

Daphnée Sétondji

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