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Transformer notre production agricole pour consommer local

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Nous sommes tous d’accord sur un point : la transformation des produits agroalimentaires est incontournable si nous voulons maîtriser la sécurité alimentaire dans notre pays. Si nous ne faisons rien pour transformer à grande échelle nos produits locaux, nous mangerons peut-être, probablement chinois, mais ce n’est pas ce que nous voulons.
Ce que nous voulons, c’est être sûr de manger et surtout manger ce que nous produisons et transformons. Ce n’est pas un acte gratuit. C’est un acte militant, c’est un choix de développement pour nos pays. C’est le choix de développer les productions agricoles locales et de les valoriser en les transformant. C’est le choix de créer des emplois car nous le savons bien : en Afrique de l’Ouest, c’est dans l’agriculture et la transformation agroalimentaire que nous pouvons créer des emplois en grand nombre. C’est le choix d’innover en mettant sur le marché des produits accessibles au plus grand nombre et adaptés aux nouvelles habitudes de consommation.
J’aimerais tout d’abord préciser de quelles entreprises de transformation il est question ici. Le champ de l’agroalimentaire est vaste et diversifié. Il y a différentes filières investies par des entreprises industrielles, semi-industrielles et artisanales. En tant que présidente de l’association Afrique AgroEXport (AAFEX), je m’exprime au nom des entreprises semi-industrielles et artisanales formelles, qui sont des très petites entreprises (TPE) et des petites et moyennes entreprises (PME) et qui constituent la majorité des membres de l’AAFEX. Les entreprises de l’AAFEX ne sont pas dans leur grande majorité des agro-industries, car ce terme recouvre plutôt les grandes firmes et principalement celles qui sont dans l’arachide, le sucre, le riz, la tomate industrielle et le coton. Nos membres sont surtout dans la transformation de céréales et de fruits et légumes.
Pour les entreprises, le premier enjeu est celui de l’approvisionnement en matières premières en quantité, en qualité et à un prix abordable. Elles s’approvisionnent principalement sur les marchés ruraux (les loumas), les marchés de regroupement (Thiaroye et Pikine, situés en périphérie de Dakar), les marchés urbains de consommation et auprès d’intermédiaires. Toutes ces transactions sont informelles, se font au coup par coup et à des prix qui fluctuent de jour en jour.
Il faut que l’on se penche sur le fonctionnement et sur la modernisation de ces marchés, qui sont généralement dépourvus de structures de stockage et de conditionnement adaptés. Dans un premier temps, la mise en place d’un système d’informations sur les quantités disponibles et les prix pourrait améliorer les choix des opérateurs pour effectuer des transactions. Enfin, il est nécessaire de régler très rapidement le problème de l’insalubrité des produits proposés sur ces marchés car il s’agit de produits alimentaires et donc de la sécurité sanitaire des aliments que nous consommons.
Mais la solution durable se trouve dans la contractualisation avec les producteurs à travers une approche « chaînes de valeur » où chacun trouve son intérêt. Nous devons nous inspirer des contractualisations réussies, comme pour la Société de conserves alimentaires du Sénégal (SOCAS) ou La Laiterie du Berger.
Par ailleurs, les entreprises ont intérêt à se regrouper en coopératives, ou en consortium, pour leur approvisionnement en matières premières, en emballages et pour la commercialisation de leurs produits. Les initiatives comme celles de la Centrale d’achats Andandoo doivent être multipliées.
Mais pour que cela marche, il faudrait que ces structures soit bien organisées et aient accès au crédit bancaire. Il faudrait que les banques s’impliquent dans le processus comme elles le font pour les entreprises de grande envergure citées ci-dessus.
Les banques et les institutions de financement devraient avoir des produits mieux adaptés aux entreprises agroalimentaires et surtout aux TPE et PME qui ont fait leurs preuves avec leurs propres moyens et qui recherchent des financements pour leur croissance.
Les banques accompagnent volontiers les entreprises sur le court terme mais lorsqu’il s’agit de prêts plus consistants, à moyen et long terme, destinés à financer l’acquisition d’un terrain, de bâtiments et d’équipements, les exigences sont pratiquement les mêmes que pour toutes les entreprises ; alors qu’à mon sens, lorsqu’il s’agit de secteurs prioritaires comme l’agriculture et l’agroalimentaire, les critères d’appréciation des dossiers de demande de financement devraient être différents.
Le crédit-bail est une solution qui n’est pas suffisamment connue et pratiquée par les entreprises. Il faudrait savoir pourquoi cela marche ailleurs et non ici, et voir comment l’adapter à notre contexte.
Concernant plus précisément la question des équipements, tant qu’on aura besoin d’aller en Europe, en Chine ou en Inde pour en trouver, nos entreprises ne dépasseront pas le stade semi-artisanal. Quand on a la chance d’acquérir un équipement à l’étranger, on a un peu de mal à le faire fonctionner ou à assurer sa maintenance, car nous n’avons pas les bons techniciens sur place. Il y a là un véritable créneau pour la production locale d’équipements modernes et pour la formation d’ingénieurs et de techniciens compétents.
Puisqu’on est bien conscient qu’il faut miser sur ce secteur qui offre beaucoup d’opportunités, il faut maintenant passer de la parole aux actes et créer les conditions pour que les entreprises agroalimentaires puissent se développer. Il est temps de libérer toutes les potentialités qu’offre ce secteur.
Les membres de l’AAFEX qui ont créé leur entreprise de transformation des céréales veulent mettre à la disposition des ménages des produits de qualité, bien conditionnés et prêts à consommer. Aujourd’hui, pour rentabiliser leurs activités, ces entreprises vendent 50 % de leur production à l’export parce que leurs produits sont chers et ne sont pas accessibles au plus grand nombre.

Il faut donc également ouvrir la réflexion sur les coûts de production, sur la mise en place d’une fiscalité adaptée aux TPE et PME agroalimentaires et sur les campagnes de promotion en faveur du « consommer local ».
Enfin, j’aimerais insister sur le fait que le développement de l’agriculture et de la transformation agroalimentaire sont des enjeux de taille, incontournables, qui doivent ouvrir des perspectives pour les jeunes. Nous avons un boulevard devant nous et ce créneau est le plus porteur qui soit car il y a encore beaucoup à faire.
Le marché pour les produits agroalimentaires est local, sous-régional, africain et à l’export. Nous consommons volontiers des produits importés. Apprenons à consommer local mais transformons également nos produits pour qu’ils soient attractifs pour les autres consommateurs d’Afrique et du monde.

Marie-Andrée Tall
Marie-Andrée Tall est Présidente de l’association Afrique AgroEXport  (AAFEX), directrice de Fruitales (Sénégal), membre du Conseil scientifique de FARM

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