A l’image du reste du monde, l’Afrique connaît une grande période d’urbanisation. Selon les projections des Nations Unis, plus de la moitié de la population mondiale vivra en ville d’ici 2020. Ce constat soulève de nombreuses réflexions sur les conséquences économiques de l’urbanisation. Certains évoquent l’existence d’un cercle vertueux, alliant emploi et consommation, ainsi que l’envoi de fonds vers les familles restées en zone rurale. D’autres soulèvent le débat concernant l’urbanisation de la pauvreté. L’urbanisation cache cependant des réalités très diverses, particulièrement en Afrique. On y compte de nombreuses villes de petite taille et des métropoles gigantesques comme Le Caire ou Lagos. Depuis les années 1970, la croissance urbaine a surtout été celle des petites villes : plus de la moitié de l’expansion urbaine concernait les villes de moins de 500 000 habitants. Dans les années à venir, les grandes villes devraient enregistrer une croissance plus forte de leur population que dans les villes de petites tailles.
La recherche en économie et géographie des questions de développement s’intéresse depuis peu à la question des villes de petite taille, en regrettant le fait qu’elles aient été longtemps ignorées dans de nombreux travaux. Il s’agit par exemple d’étudier les ressorts de leur croissance, démographique et économique, ou leur autonomie par rapport aux grandes agglomérations. La question est particulièrement soulevée dans le cas de l’Inde, où la définition de la ville est spécifique et parfois restrictive. Aujourd’hui l’attention se porte également sur le continent africain. En particulier, des économistes de la Banque Mondiale ont cherché à comparer les effets de l’urbanisation sur la pauvreté, dans les grandes villes et dans les villes de petite taille. Les différents contextes urbains peuvent avoir une influence sur la réduction de la pauvreté, à travers plusieurs mécanismes contradictoires. Dans les grandes métropoles, on peut s’attendre à des économies d’échelle de plus grande ampleur, et à de grandes externalités positives favorables à l’emploi, par la proximité des transports et des besoins de consommation. Par contre, les petites villes sont plus faciles d’accès pour les ruraux, notamment les plus démunis, et elles permettent à ces derniers de garder des liens plus forts avec la campagne.
Des chercheurs de la Banque mondiale. ont réalisé une étude portant sur ce sujet, selon deux perspectives, locale et internationale. Ils ont tout d’abord étudié le cas de la région de Kagera, en Tanzanie, pour laquelle ils disposaient de données très précises, permettant de suivre sur vingt ans les mêmes individus. Ils ont ensuite confronté leurs résultats à une étude à plus grande échelle, comparant des données macro sociales de pays du monde entier. Il ressort de leur travail que les petites villes, si elles sont moins porteuses de croissance économique de manière générale, seraient plus propices à la réduction de la pauvreté. En effet, ils observent en moyenne une augmentation des dépenses de consommation beaucoup plus forte parmi les individus migrant vers les grandes villes, mais les individus se tournant vers les villes de petite taille (ou les secteurs non agricoles des zones rurales) connaissent moins de chômage, et une augmentation tout de même significative de leur consommation.
Ils invoquent plusieurs explications à ce phénomène. Ils soulignent le fait que le taux de chômage est très élevé dans les grandes villes parmi les migrants venant des zones rurales. Les problèmes d’emploi seraient moins criants dans les villes de petite taille. De surcroît, les individus se tournant vers les villes plus petites, ou vers les secteurs non agricoles des zones rurales, gardent davantage de liens avec leur région d’origine. Enfin, ces migrations sectorielles ou sur de plus courtes distances concernent plus d’individus, ce qui peut expliquer l’impact positif qu’ils ont sur la réduction de la pauvreté. De nombreuses études sont à l’œuvre dans ce domaine.
Ces résultats, s’ils nécessitent d’être prolongés par d’autres travaux, invitent néanmoins à réfléchir sur les bénéfices du processus d’urbanisation en Afrique. Ils invitent également à favoriser le développement d’infrastructures dans les villes de taille moyenne (et zones rurales dans lesquelles un secteur non agricole est en expansion). Ce développement d’infrastructures ne devrait alors pas se penser par rapport au domaine de l’agriculture, pour laquelle le soutien est toujours nécessaire, mais plutôt comme appui à un nouveau monde urbain porteur d’opportunités.
Clara Champagne